Octobre rose, just in time
Mois d’octobre oblige, vous avez vu partout poindre des articles sur le cancer du sein, l’importance de l’auto-examen, du dépistage précoce, etc. Et tant mieux ! On peut ne pas être fan des « journée de » et autres « mois de », mais ils ont le mérite d’attirer l’attention des gens sur certains thèmes cruciaux, même si on est d’accord que c’est toute l’année qu’on devrait avoir ça en tête et pas l’espace d’un jour ou d’un mois. Allez, pour le fun, on remet quand même une dernière couche avec l’auto-examen :
Et plus de détails (le texte et tout ça tout ça) ici.
On est le 23, je suis donc encore juste juste dans les temps niveau calendrier 😉
Ici je souhaite vous parler du dépistage génétique, pour le cas où, comme moi il y a 3 ans, vous penseriez que c’est réservé à Angelina Jolie ! Et donc par la même occasion de mon expérience en la matière, puisque oui, je l’ai fait, même sans être Angelina !
Angelina et Laetitia
En 2013, la lectrice assidue du New York Times que je suis (bon ok, c’est pas vrai, je dois l’avoir lu dans Public ou 20 Minutes, mais par contre oui, oui, la publication originale est bien un article rédigé par Angelina herself dans le fameux journal new yorkais) apprend que l’actrice a subi une double mastectomie préventive après avoir été diagnostiquée porteuse d’une mutation génétique (BRCA1) favorisant (super mega) le risque de cancer du sein; sa propre mère étant décédée d’un cancer du sein à l’âge de 56 ans.
Bah, une star qui a les moyens de se payer des tests génétiques super chers et certainement super peu accessibles, tant mieux. Aux US en plus. Info reléguée avec les autres news people du jour. Aux oubliettes donc.
Environ un an plus tard, le lis je ne sais plus où – mais très certainement dans la presse féminine – qu’une jeune française, Laetitia Mendes, a publié un livre intitulé « Mon petit gène, ma seconde chance », où elle raconte son parcours. Diagnostiquée porteuse d’une mutation génétique semblable à celle d’Angelina Jolie (BRCA2, BRCA 1 et 2 étant les deux principales mutations identifiées à ce jour, mais il y en a d’autres), elle est la première française à avoir subi une double mastectomie préventive. Elle aussi a perdu sa maman bien trop jeune. Et le témoignage d’Angelina Jolie lui a donné envie de partager son récit.
Hum. Cette Laetitia, c’est une fille normale. Pas une star multimillionnaire. Et elle habite en France, pas aux US. Ces témoignages qui se suivent font écho à ma propre histoire. J’achète son livre, que je dévore.
Et moi ?
J’ai aussi un historique familial un peu pourri : une maman à qui on diagnostique un cancer du sein à 38 ans à peine. Détecté très tôt, bonne nouvelle. Ablation totale du sein direct (à l’époque, ils ne faisaient pas dans la dentelle, aujourd’hui on essaie de sauver le sein au maximum), chimiothérapie, rayons. Elle est en rémission. Ouf ! Et quelques semaines plus tard à peine, nous apprenons qu’en fait, des métastases ont atteint le foie. Moins de 18 mois après le diagnostic de son cancer du sein, ma maman est décédée, à l’âge de 39 ans.
Mais ça ne s’arrête pas là. J’ai toujours entendu raconter dans la famille que sa grand-mère paternelle, qui est décédée très jeune (je ne sais plus à quel âge exactement, mais entre 30 et 35 ans), était aussi atteinte d’un cancer du sein. Deux personnes. En trois générations. Et entre ça, tout un tas de sujets masculins puisque mon arrière-grand-mère a eu trois fils, qui eux-mêmes ont eu en tout quatre fils et seulement deux filles, dont ma mère. Et tous ces cousins ont eu huit garçons et seulement trois filles (dont moi donc), encore jeunes.
C’est sûr, ça commence à me travailler.
En 2015, je décide d’en parler à ma gynécologue, portée par l’espoir que si ce dépistage est possible en France, il doit aussi exister en Suisse. Elle me met en contact avec un oncologue généticien à l’Hôpital de Delémont et je fixe rendez-vous avec lui (le CHUV propose aussi ce service. J’ai décidé d’aller plutôt à Delémont simplement parce qu’elle me recommandait ce médecin qu’elle connaissait et ça me rassurait).
En amont du rendez-vous, je commence à stresser un peu : comment prouver la survenue de ces deux cancers dans ma famille ? Ma maman est alors décédée depuis plus de 15 ans. Son généraliste et son gynéco de l’époque sont partis à la retraite. La seule chose sur laquelle j’arrive à mettre la main, c’est son certificat de « sortie » de l’hôpital après son décès, mais on y parle de cancer du foie et pas du sein. Alors pour mon arrière-grand-mère, autant dire que c’est perdu d’avance.
Je me rends au rendez-vous assez anxieuse et pleine d’interrogations. Et là j’ai la chance de tomber sur un médecin d’une gentillesse et d’une empathie exceptionnelles. Il m’explique très rapidement que je n’ai rien besoin de prouver du tout. Que mon récit et l’arbre généalogique que j’ai dessiné sont suffisants. Il m’explique en quoi consiste le test génétique et m’esquisse déjà, en cas de résultat positif, les différentes possibilités qui s’offrent aux patientes. J’apprends que rares sont les femmes qui font le choix de la double mastectomie préventive. Que la première étape est souvent de retirer tout l’appareil reproducteur passé les 40 ans, ce qui – et ça m’a surprise ! – permet déjà de diminuer très significativement le risque de cancer du sein quand on est porteuse de la mutation génétique. Bref. Il allait faire un courrier à mon assurance pour avoir leur ok pour le remboursement du test. Je n’ai plus les chiffres en tête, mais il y a environ deux-trois ans, il coûtait plusieurs milliers de francs (autour des CHF 6’000 si ma mémoire est bonne). Donc même avec une franchise à CHF 2’500, c’était important de s’assurer du remboursement.
Je reprends ma voiture pour rentrer et je commence à pleurer comme une gamine. Je n’ai pas encore fait le test, je ne sais même pas si l’assurance sera ok, mais je me rends compte que SI je suis porteuse d’une de ces mutations, j’ai la possibilité de le SAVOIR et de pouvoir FAIRE quelque chose pour tordre le cou au destin. Chance que ma maman n’a pas eue.
Alors, ce petit gène ?
L’assurance donne son feu vert. Je décide d’aller de l’avant (oui, parce que les CHF 2’500, il va quand même aussi falloir les sortir. Ils les valent largement, mais quand même, je sais que j’ai eu la chance de pouvoir les payer). Je fais une simple prise de sang chez ma gynéco et s’en suivent deux longs mois d’attente et un nouveau rendez-vous à Delémont. Quel que soit le résultat, il ne se donne que de vive voix. Je suis tellement perturbée que je me mélange les pinceaux et qu’on arrive une heure en avance.
Et le verdict tombe. Je ne suis pas porteuse des mutations génétiques BRCA 1 ou 2. Je suis soulagée. Pour moi. Pour mes filles surtout. Parce que j’ai deux filles déjà à ce moment-là (mais attention, la mutation est transmise par les hommes également et certains hommes peuvent même être atteints d’un cancer du « sein » !).
En vérité, je suis un peu déçue aussi. Si, si et je vous le dis parce que le but de cet article, c’est de partager les choses avec vous en toute transparence. Evidemment que je ne suis pas déçue de ne pas porter un tel fardeau, ça serait dingue ! Mais une partie de moi est déçue de ne pas avoir d’explication au décès de ma Maman, si tôt, si vite… au fait qu’elle – et mon arrière-grand-mère – aient été atteintes si jeunes d’une forme de cancer du sein si aggressive, qui les a arrachées à leurs familles en quelques mois*. Même si je conçois que ce sentiment puisse sembler étrange, je pense qu’il est humain. J’avais sans doute l’impression que si hérédité il y avait, je pourrais « maîtriser » la chose. Là les cartes restent un peu brouillées.
* En réalité, il existe la possibilité que ma maman et sa grand-maman avant elle aient bien été porteuses de BRCA1 ou 2 et qu’elle ne me l’ait pas transmise. Ce serait le meilleur scenario pour moi (j’aurais alors exactement les mêmes risques qu’une personne sans historique familial en la matière), mais malheureusement, je n’aurai jamais la réponse à cette question.
Le soulagement et puis la prudence. Le médecin me met quand même en garde : BRCA 1 et 2 sont les deux gènes identifiés les plus connus, qui font maintenant l’objet de ce dépistage, mais il existe d’autres gènes potentiellement responsables d’un risque accru de cancer du sein. Certains sont encore inconnus, d’autres pas encore assez connus pour faire l’objet d’un dépistage systématique. Les deux cancers survenus très jeunes (en Suisse, seules 5% des femmes diagnostiquées ont moins de 40 ans, mais il s’agit souvent dans leur cas de cancers très invasifs – source ici) et de manière très agressive chez ma mère et mon arrière-grand-mère (avec en plus peu d’autres sujets féminins dans la famille) restent une source de préoccupation. L’absence des marqueurs BRCA 1 et 2 dans mon ADN ne me délivre pas d’une surveillance accrue.
D’ailleurs, depuis que j’ai reçu les résultats de mon test au printemps 2016, un nouveau test est disponible. D’autres gènes peuvent aujourd’hui être testés. Je pourrais bénéficier de ce test. Avec un coût moindre de « seulement » CHF 1’200, car l’analyse faite pour le premier test pourrait être en partie réutilisée (d’ailleurs à savoir que si mon premier test s’était révélé positif, les autres femmes de cette « branche » de mon arbre généalogique auraient pu faire le test à un coût moindre que celui que j’ai payé).
Je suis encore en réflexion. C’est une somme importante, car même si mon assurance a donné son feu vert à ce nouveau test (ce qui d’un côté me fait me dire qu’ils ne considèrent pas ce test comme inutile ou comme un « excès de zèle » dans mon cas), il sera de toute façon totalement à ma charge au vu de ma franchise élevée. Au vu de mes premiers résultats, il y a statistiquement environ 10% de risque que ce deuxième test soit positif. Je n’arrive pas encore à me décider quant à savoir si c’est peu ou beaucoup.
Ce que ce test a changé
A la fois peu et beaucoup.
L’énorme soulagement de ne pas être identifiée comme porteuse de ce gène et, par la même occasion, de ne pas jeter cette ombre sur toutes les femmes de ma famille : mes filles en tout premier (trois maintenant), la fille de mon frère aussi, les petites cousines que ne savent rien de ma démarche.
Mais quand même un petit goût amer, car je sais que cela ne veut pas dire que je ne serai pas touchée comme ma mère et mon arrière-grand-mère. Moi. Ou mes filles. Ou ma nièce. Une ombre qui est toujours là, quelque part.
On mourra tous de quelque chose. Mais si possible pas du cancer du sein. Si possible.
Si cet article aura pu lever le doute d’une seule personne quant au fait qu’elle a toute la légitimité pour faire ce test génétique, alors il aura tout son sens. Une femme jeune de votre famille a été atteinte par le cancer du sein ? N’hésitez pas à en parler à votre gynécologue. Il/elle pourra vous diriger vers un spécialiste et déterminer si oui ou non ce test vous est accessible.
Prenez soin de vous ! Et merci à Angelina et Laetitia 😉
Liens
Vous trouverez ici des informations de la Ligue Suisse contre le Cancer sur cancer du sein et hérédité.
Laetitia Mendes a depuis fondé l’association Geneticancer, dédiée à la lutte contre les cancers génétiques et/ou d’origine héréditaire.
Bravo d’en parler ici ! Je suis en plein dans le sujet, alors je trouve ça super que l’on soit de plus en plus nombreux (ses) à parler de ces mutations. Je suis soulagée pour toi et pour tes filles. C’est l’une de mes plus grosses peurs d’avoir transmis aux deux miennes ma mutation.
Je ne voudrais pas t’alarmer par contre mais si tu n’es pas porteuse, cela ne veut pas nécessairement dire que ta maman (et donc ton frère) n’ait pas été porteuse. Il y a un risque sur deux. Je suis porteuse (comme ma maman donc mais elle non plus n’avait pas fait le test) mais mon petit frère ne l’est pas… ce qui est un énorme soulagement. Je ne voudrais pas te faire peur mais si ton frère n’a pas fait le test il peut être porteur. En France nous avons cette énorme chance que tout soit pris en charge lorsque le risque est suspecté, du test aux controles puis à la chirurgie. Je comprends bien que dans votre cas cela amène un aspect financier qui pose question. J’en suis désolée.
Quoi qu’il en soit je t’embrasse
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Merci bcp! Oui c’est vrai, je ne suis pas rentrée dans les détails, mais il est effectivement possible que ma maman ait bien été porteuse de la mutation et qu’elle ne me l’ait pas transmise à moi, mais potentiellement à mon frère. Mais ça on ne le saura jamais
Merci pour ces éclaircissements. Je suis vraiment navrée pour toi 😦 Mais heureusement que tu le sais et peux être surveillée en conséquence, c’est toujours ça de prit sur cette saleté… Je t’embrasse
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